La Kahina
La Kahina(DIHIYA)
On ne connaît d’elle que son nom, son prestige et sa farouche résistance à l’envahisseur, disait d’elle Charles André Julien. Elle est un personnage mystérieux, fascinant, à cheval entre la vérité historique et le mythe. Elle est à la fois belle et rebelle, intrépide et amante, déterminée et tendre. Est-elle juive ? Est-elle chrétienne ? On dit qu’elle adorait une idole en bois qu’elle emmenait partout dans ses déplacements portée par un chameau au-devant des troupes. Peut-être un crucifix ou une statue de la Vierge? Ou une quelconque survivance païenne ?

Dans son histoire des Berbères, Ibn Khaldoun raconte qu’avant de s’aventurer sur les terres d’Ifriqiya, Hassan avait demandé qui était le prince le plus puissant. La Kahina, lui répondit-on. Une berbère qui prédisait l’avenir, et tout ce qu’elle annonçait ne manquait pas d’arriver. Seule sa mort pourrait mettre fin à la révolte des Berbères.
En 695, Hassan se met en marche pour l’attaquer dans son fief dans l’Aurès. Elle l’affronte sur le bord de la rivière Nîni, lui inflige une cuisante défaite et le pourchasse jusqu’aux confins de Gabès. De tous les Arabes qu’elle a fait prisonniers, qu’elle traitera néanmoins avec bonté et qu’elle finira par libérer, elle ne gardera que Khaled ibn Yazid, un bel homme distingué par son rang et sa bravoure, qu’elle adoptera pour fils. On dit qu’elle s’est enduit les seins de farine et lui a demandé, ainsi qu’à ses deux fils, de les téter. Mythe ou réalité ? Dans son ouvrage sur la Kahina, Gisèle Halimi qui a passé deux ans à farfouiller dans les arcanes de l’histoire, nous révèle aussi une relation ambiguë, à la fois maternelle et amoureuse, entre la reine et son captif. Certaines sources aussi prêtent au favori un double jeu au profit d’Hassan.
Quand, cinq ans plus tard, la Kahina apprend que Hassan, à qui le califat a envoyé renfort et argent, s’apprête à reprendre la conquête de l’Ifriqiya, elle envoie ses émissaires ravager les cultures, détruire les villes et les hameaux.
Les Arabes n’en veulent qu’à nos places fortes, à l’or et à l’argent, dira-t-elle à ses fidèles .Tout le pays qui n’était « qu’un seul bocage et une succession continue de villages » n’est plus qu’un désert, rapporte Ibn Khaldoun. Mécontents, les habitants des villes n’offrirent aucune résistance à Hassan et lui firent soumission sans difficulté. La Kahina a bien essayé de l’arrêter, nous raconte El Bekri, mais elle a dû reculer et s’est enfermée dans la forteresse ancienne d’El Jem (a conservé dans l’histoire le nom de Ksar el Kahina). Elle finira par la lui céder après un long siège et s’en ira se réfugier dans l’Aurès au milieu des tribus qui lui étaient restées fidèles.
Pour Hassan, cette femme fière et intrépide, meneuse d’hommes, rebelle, est un obstacle à sa progression vers l’ouest du Maghreb, mais elle est aussi une offense qui demande réparation. Après la capitulation de Carthage, il prendra le chemin de l’Aurès où elle l’attendait de pied ferme. Elle lui livrera un combat désespéré auquel elle ne survivra pas. Capturée quelque part du côté de Tabarka, au lieu-dit Bir el Kahina, elle est décapitée et sa tête est, selon les versions, envoyée au Calife ou jetée dans le puits. Sachant son combat perdu d’avance, elle aurait donné l’ordre à ses fils de se soumettre au général arabe qui, raconte Ibn Khaldoun, a confié à l’un d’eux le commandement des Djeraoua et le gouvernement de l’Aurès. Sa mort a donné le signal de la reddition des tribus berbères mais elle est demeurée dans leur cœur et leur imaginaire le symbole du nationalisme.
Y a-t-il dans les luttes qu’ont menées les tribus berbères et leurs descendants contre toute sorte d’envahissement et de dictature, un fond de cette persévérance et de cette force qui ont caractérisé une des rares femmes meneuses et combattantes du monde arabe ?